VILLEPIN PILE ET FACE 1ère Partie

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Villepin pile et face

 

par Daniel RONDEAU

 

1ère partie

Le 21 juin dernier, chaleur et gris sur Paris. A Matignon, des ouvriers montent une estrade pour la Fête de la musique. Dans son bureau du 1er étage, Dominique de Villepin, en chemise et cravate bleue, long, mince, oppose un calme inédit à ceux qui tiennent son échec pour assuré : "Je voudrais prouver que le pouvoir n'est pas forcément le refuge du cynisme, du scepticisme et de l'inaction." Ce matin-là, Thierry Breton, le ministre des finances, a parlé de la dette publique avec des chiffres abyssaux. Trois semaines plus tôt, la France a dit non à l'Europe, cette maison commune paradoxale, parce que non démocratique, dont les architectes semblent avoir au fil du temps oublié les origines et les fins.

Une morosité durable affecte notre pays, dirigé depuis longtemps par des gouvernants paralysés par leur prudence. Dernier en titre : Jacques Chirac. Les Français, tentés de vivre en arrière, dans une quiétude provinciale, s'enferment avec leurs plaintes, s'adonnent à la peur et au repentir, sans savoir qu'ils sont enviés, leur volonté trébuche. "Notre démocratie est complètement bloquée, dit Villepin. Je ne peux réformer que par surprise, en restant dans l'équilibre, la vraie nature française, dans la justice, qui n'est pas l'égalité, et dans le mouvement. C'est seulement parce que c'est difficile que je peux réussir."

Les deux plus proches collaborateurs de Villepin nous rejoignent. Il entretient avec eux un dialogue de chaque instant. Pierre Mongin, cheveux courts et gris, sourcils et yeux noirs, teint mat, bistre des cernes ; et Bruno Le Maire, grande taille, peau pâle, sourire et placidité sans affectation sur toute sa personne. Mongin a apporté une photo de Jean Moulin sur son bureau de directeur de cabinet. Sur celui de Le Maire (auteur d'une thèse sur Proust sous la direction du professeur Tadié), un exemplaire des Essais de Montaigne. Deux styles. Villepin reprend avec eux une discussion assez vive. "Vous avez les chiffres que Breton a donnés ce matin. Il faudra trouver les moyens de faire des économies. C'est juin 1940, nous sommes le dos au mur. Est-ce que les gens s'en rendent comptent ?"

Depuis juillet 2004, les trois hommes se sont préparés à ce qu'ils considèrent comme une mission de la dernière chance. La Place Beauvau, sous Villepin, est devenue une sorte de laboratoire clandestin de la société française, où le ministre de l'intérieur a beaucoup reçu, écouté, sans jamais rien en laisser savoir. Des syndicalistes, des professeurs, des économistes, des patrons de PME, des parlementaires, des agriculteurs, des experts-comptables spécialistes de l'emploi, des prostituées, un ancien président (Giscard), des dirigeants de grandes sociétés, parmi lesquels Villepin compte de nombreux amis (Jean-Louis Beffa, Thierry Desmarest, Henri de Castries, Bertrand Collomb, etc.). Tous ces efforts, naturellement, sans aucune certitude de se retrouver à Matignon (Villepin a été prévenu de sa nomination deux jours avant son arrivée Rue de Varenne, mais il l'avait activement anticipée, par déduction, dès le début de l'année, j'y reviendrai).

J'avais été surpris, Place Beauvau, de l'entendre dire qu'il faisait alors "un travail sur lui-même" . Curieux. Mais il avait le sentiment qu'il y avait quelque chose de fondamental dans notre société (les violences, les angoisses, les crispations, mais aussi l'identité nationale) qui lui échappait (et à tous les politiques) et qu'il ne pouvait imaginer réformer sans d'abord se réformer lui-même. Pour regarder le proche et l'innommé d'une réalité française souvent observée de haut, il a maté ses impatiences, s'est interdit ses condamnations à l'emporte-pièce ("Tous des cons..." ). Son lyrisme s'est bridé.

C'est un nouveau Villepin qui arrive à Matignon. D'une conférence de presse à l'autre, les journalistes découvrent l'aune de sa métamorphose. De quoi leur parle-t-il ? De l'emploi, du prix de l'essence, de la croissance sociale... Je lui dis que certains le trouvent un peu... Il m'interrompt : "... Un peu besogneux. Oui, je suis besogneux. Et humble. Je ne veux pas gâcher les deux ans que j'ai devant moi. La démocratie, ce n'est pas attendre sempiternellement les prochaines élections. Je connais le maître mot de Nicolas Sarkozy et de Laurent Fabius, et d'autres encore : rupture. Ils n'ont que ça à la bouche ! S'il y a rupture, je crains qu'elle ne soit pas démocratique. Evitons la surenchère et la montée des extrêmes, faisons bouger les lignes. La réalité d'aujourd'hui ne tient pas dans les vieux clivages."

C'est ainsi qu'il a fait de ses cent jours un début plutôt qu'une fin. En changeant, et en restant lui-même, c'est-à-dire gaulliste ascendant Bonaparte. L'Empereur, "alchimiste des hommes et des légitimités", avant d'user la France dans la gloire militaire, avait jeté les bases d'un Etat moderne et d'une réconciliation des deux France. "De Gaulle aussi, dit Villepin. Qu'est-ce qu'il fait en 1944 ? La rupture ? Non, la continuité. Et quand il revient en 1958 ? La continuité."

La presse le désigne concurrent adoubé de Sarkozy pour l'élection de 2007. Il lève les bras au ciel : "J'ai rencontré trois fois Nicolas Sarkozy en tête à tête depuis que je suis ici. A chaque fois, il m'a répété la même chose : 'Ça se jouera entre vous et moi. Personne n'en doute. Que le meilleur gagne'. A chaque fois, j'ai nié être entré dans cette perspective."

Cela ne veut pas dire qu'il ne pense pas à demain. Depuis qu'il a 20 ans il se prépare. "Mais enfin, qu'est-ce que tu veux ? Dis-le-nous, préviens-nous un peu à l'avance" , lui disent ses proches, parfois lassés de cette tapisserie qui ne s'achève pas. Il dit que servir est son secret. Réponse de sphinx. C'est son côté ombre. Il cache ses besoins d'absolu sous un manteau de mystères.

On croit le connaître, et on le découvre plus complexe qu'on ne l'imaginait. Quand Bayrou dénonce la politique people (les photos de la fille de Villepin publiées dans Elle , les joggings médiatisés avec ou sans Sarkozy), Villepin lui téléphone aussitôt : "Je fais mon jogging tous les jours depuis trente ans, sans journalistes. Les photos de ma fille ont été publiées sans son accord et sans même qu'elle soit prévenue. Sache bien que j'ai servi l'Etat pendant toute ma vie dans la discrétion la plus totale et surtout dans le bonheur de cette discrétion."

Sources : LE MONDE

Posté par Adriana Evangelizt

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