MONSIEUR LE DAUPHIN

Publié le par Adriana EVANGELIZT

DOMINIQUE DE VILLEPIN : MONSIEUR LE DAUPHIN

Dominique de Villepin a mis ses pas dans ceux du président. « Le Point » raconte comment, dans le plus grand secret, il s'était préparé à Matignon ; comment il « travaillait Chirac » et comment, aujourd'hui, il joue la mélodie du bonheur.

Ils sont une dizaine de directeurs de cabinet à planifier, par un bel après-midi de septembre, au rez-de-chaussée de Matignon, la « bataille de l'emploi ». Difficile de se concentrer pendant qu'au loin une grande ombre fait des tours de parc jubilatoires. Au bout d'une demi-heure, le Premier ministre apparaît dans l'embrasure de la porte, en short et en sueur. Il demande s'il dérange, s'assoit, pose quelques questions et puis annonce qu'il va prendre une douche. Les énarques du jour sont estomaqués. On leur avait parlé d'un Villepin pressé, abstrait. Ils ont cru voir un « pote ».

Mardi dernier, 20 septembre, les élus de l'UMP sont à Evian en grand équipage et en grand énervement, à l'occasion de leurs journées parlementaires. Ils sont là pour compter les points entre Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin. Le Premier ministre s'attarde, papote, pose la main sur une épaule. Les députés sont charmés. Il y a un an, les mêmes se plaignaient qu'il ne les voie littéralement pas. Il y a trois mois, ils ne voulaient pas de lui comme Premier ministre.

Cet été, à Arradon, dans le Morbihan, les touristes l'ont découvert « comme je vous vois » entre la plage et la crêperie. Comme tous les ans, son ami Régis Bulot, président de Relais & Châteaux, avait organisé les vacances familiales, trouvé la maison à louer et les adresses de bistrots. Comme tous les ans, Dominique de Villepin a écrit, chaque matin, un peu de poésie. Mais, cette année, même ses amis l'ont trouvé plus calme, lui qui peut se mettre en colère pour un détail. « Il a énormément changé », confie un de ses proches.

A Matignon, ces temps-ci, on joue la mélodie du bonheur, ce qui est déjà un exploit dans cette maison où généralement s'amoncellent les ennuis. Le regard des autres, en tout cas celui du petit monde qui fait les images, a changé : c'est tout juste si, après l'avoir vu courant dans les flots de l'Atlantique, à La Baule, certains n'énoncent pas comme une nouveauté qu'il est grand et beau ! Le Premier ministre s'aime assez pour se prêter avec plaisir à son personnage glamour, mais son histoire ne commence pas dans cette onde claire. « La démonstration encore une fois est faite, soupire un de ses ministres, qu'il ne faut penser qu'à cela. » Pendant qu'on glosait sur ses ruades, qu'on disséquait sa prose et qu'on s'arrêtait sur sa caricature incandescente, Dominique de Villepin ne pensait donc qu'à cela ? « Il voulait Matignon, au cours du quinquennat. Il était prêt », affirment ceux qui, dans l'entourage de Chirac, n'ont pas attendu le remaniement du gouvernement pour observer qu'il était un homme de pouvoir. Passionnément.

Ceux-là se rappellent son entrée fracassante dans le dispositif chiraquien, avant la présidentielle de 1995, quand il conseillait, dans ses tirades, d'embrasser Edouard Balladur jusqu'à l'étouffer. Ou encore en 1997, quand il pensait qu'il fallait amener à résipiscence une majorité infernale, quoi qu'il en coûte, y compris l'échec aux élections législatives.

« A Matignon, ou l'on est transfiguré, ou l'on s'effondre, explique un de ses anciens collaborateurs. Il considérait qu'il était capable d'être Premier ministre, il avait raison. » Il est vrai qu'il y a un an Jacques Chirac lui-même hésitait. Et pour ses amis, si Villepin avait alors la dent dure, c'est qu'il rongeait son frein. Aujourd'hui, le Premier ministre serait donc heureux, car justifié dans son ambition. Une ambition dont il a cessé de dissimuler l'impatience après la défaite des élections régionales et européennes de 2004. Il estimait que Raffarin était à bout de souffle et que le gouvernement ne pourrait tenir cinq ans tandis que, de scrutin en scrutin, s'approfondissait le divorce entre les Français et la politique. Pendant qu'il s'échinait à faire partager son point de vue par le chef de l'Etat, qu'il interpella à plusieurs reprises pour tenter de le «faire bouger », il se préparait.

Avec Bruno Le Maire, déjà coulé dans l'étoffe du conseiller indispensable qui peut dire « nous » sans que le ministre s'en offusque, une femme a joué les têtes chercheuses de la société française. Cette « Mme Michu », comme elle se définit encore à Matignon, Nathalie Briot, épluche Télérama à la recherche de l'interview d'un jeune professeur rebelle, repère les chefs de petites entreprises innovantes par le bouche-à-oreille, s'inquiète des hommes paumés dans les familles qui se décomposent et se recomposent. A partir de janvier, elle a ainsi organisé Place Beauvau, en marge des rendez-vous institutionnels classiques, des rencontres, tous les quinze jours, avec ceux qui ont « une expérience de terrain ». Elle a alors carte blanche. Son patron l'a dite « fine et psychologue ». Villepin, qui dédaignait les déjeuners « inutiles » avec ses collègues, a toujours affiché son goût pour les personnalités originales, voire marginales. Entre la révélation de la féministe Antoinette Fouques et un entretien difficile avec l'économiste François Ewald, il a discuté aussi longtemps avec Elisabeth Badinter ou Coline Serreau qu'avec une prostituée du bois de Vincennes.

La vraie vie. Son carnet d'adresses s'est enrichi de nouvelles étoiles de tous les secteurs : le psychanalyste Serge Hefez, auteur à succès de « La danse du couple » et de « Quand la famille s'emmêle » ; l'économiste qui monte, Olivier Pastré, ou Malamine Koné, PDG d'Airness, devenu le sponsor des grands champions après avoir quitté à 13 ans son Mali natal ; des géographes qui travaillent sur les ségrégations territoriales, Christophe Guilly et Christophe Noyé... Pendant que Raffarin perdait le contact avec la France d'en bas, Villepin s'appliquait, sans le dire, à se mettre au niveau de la vraie vie. Et personne n'y prenait garde. Sauf peut-être Nicolas Sarkozy, qui, renseigné sur la méticulosité du ministre de l'Intérieur à sortir de son champ, anticipait déjà sur sa nomination à Matignon.

A partir du mois de novembre 2004, où Jacques Séguéla - qui le connaît depuis les heures héroïques de la cohabitation - avait dépêché un de ses collaborateurs d'Euro-RSCG, Bernard Sananès, pour donner « un coup de main » avant son passage à « 100 minutes pour convaincre », sur France 2, Villepin a travaillé son calendrier. « Il fallait ne pas se tromper de rythme, de pied, de point de départ », se rappelle un de ses proches. Avant le référendum, Villepin avait déjà fait de l'emploi l'axe de sa politique. C'était le seul domaine où les esprits étaient assez mûrs pour supporter l'esquisse d'une rupture avec les situations acquises. « Engager tout de suite la réforme de l'Etat, qui est, certes, indispensable, mais qui bloque tout, tout de suite, ne changerait rien », soulignait-on Place Beauvau. La décision de légiférer par ordonnances, comme celle de concentrer tous les tirs sur le chômage, avait aussi été arrêtée très tôt. A Matignon, les retours de l'opinion sont méthodiquement analysés par Philippe Méchet, ancien de la Sofres, qui sert d'alerte au Premier ministre. Mais la règle de communication que s'est fixée le Premier ministre est assez simple : il faut toujours prendre la main et ne jamais subir. Dominique de Villepin n'attend pas une indiscrétion dans les journaux pour s'expliquer. D'ailleurs, elles sont interdites. De son passage à l'Elysée, où il a tout appris des grandeurs et des petitesses humaines - il en a d'ailleurs beaucoup joué -, de son étude de la communication des dirigeants américains, il a depuis longtemps conclu qu'il fallait faire l'information soi-même. Ses conférences de presse mensuelles remplissent cet objectif : « Elles frustrent peut-être les éditorialistes, mais elles comblent les autres car elles irriguent l'ensemble de la presse », juge froidement un expert. Le Premier ministre, depuis trois mois, balise au millimètre sa communication : rien n'est improvisé, tout est préparé de ses rencontres, tout est écrit de ses réponses. C'est la méthode de Jacques Chirac, acclimatée sans doute, parce que Dominique de Villepin a dû se lasser, à l'Elysée, des interminables séances de relecture de discours auxquelles le président convie ses proches conseillers. Mais le soin des mots est le même.

« Il aura trois mois pour changer les choses, trois mois pour montrer qu'on peut être Premier ministre et exister en France, prédisait, en mars, un de ses amis. Dominique a le charme pour y arriver. » L'analyse, effectivement, colle aux premiers mois que Villepin vient de passer à Matignon. Parce qu'en politique il faut avoir de la chance et que l'imprévu ravageur attend à chaque instant le chef du gouvernement, Dominique de Villepin, arrivé dans les pires conditions à Matignon, a su tirer parti des circonstances. Il a usé de l'effet de contraste avec son prédécesseur, à peine installé dans un bureau redécoré en huit jours à son goût - Jean-Pierre Raffarin s'était, lui, installé dans les meubles de Lionel Jospin. Il a marqué son autorité dès la formation du gouvernement en respectant son engagement, auquel Chirac s'était résigné - puisqu'il n'annonçait pas lui-même les mauvaises nouvelles -, de réduire le nombre de ses ministres. Amis ou pas, ceux qui devaient partir ont été congédiés sans autre forme de procès après avoir attendu parfois quarante-huit heures qu'il leur fasse signe. De quoi calmer ceux qui sont restés ! Parce qu'ils pensaient être insultés jour après jour, ils ne veulent voir que sa séduction, mais tous connaissent sa dureté, qui peut se manifester de façon cinglante, au moindre incident. « Son autorité ne souffre pas la discussion. On dialogue; on se concerte ; on décide ; on applique », résume l'un d'eux.

Deux joueurs. Les réunions ne s'éternisent pas. Les arbitrages sont faits. De l'avis de tous, la vie gouvernementale est ainsi très « apaisée » dans son fonctionnement. « On ne se sent pas affectivement soutenu mais on est soutenu », constate un ancien qui déplorait, du temps de Raffarin, les atermoiements de Matignon aux prises avec la prudence extrême de l'Elysée. « Il me demande encore des conseils, se vante un autre, mais jusqu'à quand ? » « Il n'aime personne, nuance un troisième. Il faut le savoir, cela évite de lui cirer les pompes ! » « La droite a traditionnellement besoin d'un chef, elle veut le reconnaître, s'identifier », remarque un député pour expliquer la versatilité de ses collègues qui vouaient Villepin à l'enfer des non-élus, et qui soudain lui trouvent des attraits. Au Quai d'Orsay, pourtant, il avait fait l'effort de suivre assidûment les travaux de la commission des Affaires étrangères ; à l'Intérieur, il s'était appliqué à les recevoir mais il leur restait étranger. « Il fallait que lui-même soit dans le bain pour s'intéresser vraiment à nous », avance un député, en guise d'excuse. Le plus extraordinaire, c'est qu'avant d'avoir pu montrer son habileté il n'a dû la neutralité de sa majorité qu'à celui dont il semble troubler désormais l'implacable ascension : Nicolas Sarkozy !

Il faut se souvenir de l'atmosphère qui régnait à l'UMP, au lendemain du référendum, des émissaires qui, pendant tout le dernier week-end de mai, se précipitaient à l'Elysée pour expliquer que Jacques Chirac devait se résoudre à nommer Nicolas Sarkozy à Matignon, qu'il n'y avait plus que lui pour sauver ce qui pouvait l'être, que choisir Villepin, c'était entrer dans la stratégie du chaos, que Villepin à Matignon et Sarkozy à l'UMP, le pugilat commencerait dans la seconde... L'ambiance au groupe UMP était telle que certains murmuraient déjà que la loi de finances ne serait pas votée.

Mais le président avait eu vent, depuis quelques jours, que Nicolas Sarkozy ne refuserait pas forcément d'entrer dans un gouvernement qu'il ne dirigerait pas. Par crainte d'être lui-même isolé à l'UMP, sans les leviers du pouvoir, aura-t-il ainsi contribué à faire roi un rival ? Certains vont même jusqu'à rappeler que c'est la deuxième fois que Nicolas Sarkozy a ainsi servi le destin de Dominique de Villepin. Que ce dernier avait retiré plus d'avantages que Sarkozy en le rapprochant du président en 1999 : Villepin était alors bien seul à l'Elysée, détesté de l'ensemble des élus qu'il avait précipités dans la dissolution de l'Assemblée en 1997 et qui réclamaient sa tête, tandis que Nicolas Sarkozy, ostracisé pour balladurisme en 1995, avait retrouvé tout seul sa force politique. De là à penser que les relations entre Villepin et Sarkozy sont plus complexes qu'il n'y paraît... Les deux hommes, qui s'amusent beaucoup ensemble comme des joueurs, jusqu'ici ont respecté leur accord parce qu'ils ont besoin l'un de l'autre. C'est une guerre d'images plus qu'une guerre à l'intérieur du gouvernement, où chacun prend soin de respecter toutes les formes. Mais la guerre est néanmoins impitoyable. Quand Dominique de Villepin renoue avec ses imprécations, c'est qu'il vient d'apprendre que Nicolas Sarkozy concocte une sortie qu'il n'avait pas anticipée. L'Intérieur et Matignon se soupçonnent de tout et les deux maisons s'accordent à reconnaître que, lorsque la confrontation aura lieu - si elle doit avoir lieu -, elle sera dénudée et extrême.

« J'en ai pour vingt-deux mois », répète, depuis le début, le Premier ministre, avec un fatalisme obligé. Ces vingt-deux mois décideront de toute façon de la suite de sa vie. Nicolas Sarkozy, dans ces vingt-deux mois, n'a voulu voir qu'une parenthèse pendant laquelle Dominique de Villepin expédierait les affaires courantes,qu'il pourrait, avec le poids du président de l'UMP, condamner à tout moment. C'était son analyse avant l'été, d'ailleurs calquée sur celle que le chef de l'Etat faisait lui-même le 14 juillet 2004, expliquant qu'avec le président de l'UMP dans son gouvernement, le Premier ministre n'aurait plus d'existence.

Depuis, le Premier ministre s'est imposé à Matignon, est devenu une alternative à droite et le dauphin de Jacques Chirac. Si le ministre de l'Intérieur continue de croire que Dominique de Villepin endosse un héritage qui lui interdira toute prétention présidentielle, l'accident de santé dont Jacques Chirac a été victime le 2 septembre a éclairé le dauphinat d'une lumière imprévue qui n'engage pas l'avenir, mais fige le présent de Dominique de Villepin. Si l'ambiguïté d'une nouvelle candidature à l'Elysée, que le président n'aurait pas manqué d'entretenir le plus longtemps possible, n'est plus tenable, la qualité d'héritier de Villepin s'est, en quelques jours, inconsciemment imprimée dans les esprits. Avec ses droits et ses devoirs.

Affection. Imperceptiblement, la relation entre les deux hommes s'est encore renforcée. Une relation de double protection plus évidente, plus exclusive aussi. On a vu Dominique de Villepin blêmir lorsqu'il a appris que Jacques Chirac était hospitalisé au Val-de-Grâce. Par-delà la gestion des affaires de l'Etat, il a été l'un des rares à suivre l'évolution des premiers jours, retrouvant ainsi avec l'Elysée le fil direct du collaborateur et non du Premier ministre. On sait aussi que lorsque les « pères » découvrent brutalement la précarité de la vie, ils ont tendance, même sans l'avouer, à envisager avec plus d'acuité leur succession, à faire le tri avec plus de froideur de leurs sentiments. Certains, dans son entourage, estiment que la détestation de Chirac pour Nicolas Sarkozy s'est avivée et qu'au contraire son affection pour Dominique de Villepin s'est renforcée. Le chef de l'Etat, qui est plutôt avare d'effusions, a ainsi remarqué, avec tendresse, devant ses proches que le Premier ministre s'était bien débrouillé à l'Onu où il le remplaçait le 15 septembre. « Le sentir à la hauteur lui fait plaisir », souligne un de ses vieux amis. Dominique de Villepin a mis ses pas dans les siens et veille scrupuleusement à ne pas avancer trop vite. Il avance toujours deux pas derrière le président, reste silencieux au conseil des ministres où dans les derniers temps de Jean-Pierre Raffarin, au contraire, il ne masquait plus son agacement. Il continue de rechercher le jugement du président et de l'amener sur ses positions, en douceur. S'il veut se démarquer de lui, il donnera en même temps toutes les bonnes raisons à Jacques Chirac de l'accepter. Avant le référendum, les ministres déploraient en choeur que le chef de l'Etat ne s'intéresse plus qu'à la politique étrangère. Dominique de Villepin a pris ce constat au pied de la lettre. Pour lui, le pouvoir est à Matignon. C'est là qu'est l'impulsion, l'Elysée étant dans l'accompagnement.

Jacques Chirac sait que la maîtrise et l'aboutissement de son quinquennat passent par les résultats obtenus par Dominique de Villepin sur le chômage. Les deux hommes ont partie liée. Ce n'est pas pour rien que, lors du dernier conseil restreint sur l'emploi, le président a exercé une « pression folle » sur ses ministres pour qu'ils accélèrent le mouvement. « Soyez injuste », lui avaient recommandé ses conseillers, pour apporter du renfort au Premier ministre. Chirac fit impeccablement son travail : « C'est insuffisant ! » s'exclamait-il, à l'énoncé des mesures. Cette relation ne changera pas, jure-t-on dans l'entourage du président, qui affirme que « Chirac aidera Villepin ».

« Quand les députés vont s'apercevoir que Villepin est autonome, il prendra toutes les flèches. Chirac n'est déjà plus un paratonnerre », tempère un député. Car les ennuis commencent avec la rentrée parlementaire et les premières manifestations, le 4 octobre. « C'est une valeur surcotée qui se rapproche du prix du marché », prévient un banquier, alors que la volonté du Premier ministre de créer un service bancaire universel a suscité les sarcasmes du milieu, découvrant tout à coup qu'un « trotskyste » était à Matignon ! Les chefs d'entreprise persistent à douter de la fiabilité économique d'un Premier ministre qui croit ressusciter le volontarisme politique en fouettant l'intendance, priée d'être créative à Bercy. Les députés de l'UMP s'inquiètent que les hausses de multiples cotisations pour 2006 représentent à peu près exactement les baisses d'impôts annoncées pour 2007 (environ 3 milliards d'euros). Ils constatent que leurs électeurs n'attendent rien du gouvernement et que la « croissance sociale » ou le « patriotisme économique » ne leur semblent être que des mots. A cela on répond à Matignon que l'objectif n'est pas de transformer la France en un autre pays, mais de valoriser ses énergies, de la changer pour qu'elle reste elle-même. M. le dauphin, on vous le jure, ne perd pas la tête. Il est seulement, imperceptiblement, chaque jour, un peu plus tendu.

En 2002, avant l'élection présidentielle, Dominique de Villepin a écrit un petit livre, « Le cri de la gargouille » (Albin Michel), qu'il faut relire comme la philosophie politique qu'il piaffait, depuis trois ans, de mettre en oeuvre. « Il est vrai, écrit-il, que tout nouveau pouvoir est propice aux malentendus : effets d'annonce et premiers frissons créent une sorte d'état d'apesanteur, d'état de grâce ; tous les espoirs semblent permis, la cloche médiatique battant la campagne avant de sonner le réveil des réalités. Mais tout gouvernement qui cède à cette tentation de la facilité ne peut espérer gouverner durablement. » Peut-on mieux dire ?

Charles Dantzig :  Les deux styles de Villepin

 Du « style » de Dominique de Villepin on peut remarquer deux choses. L'une, c'est qu'on l'a abusivement comparé à André Malraux. Malraux avait un style de conversation, et ses meilleurs livres, « Antimémoires » et « Hôtes de passage », sont des recueils de discussions où il ne se donne jamais le beau rôle et fait preuve d'humour. Dans ses écrits, Dominique de Villepin est, disons, frémissant. Et ne fuit pas l'obstacle. Tout le monde a admiré la richesse des phrases d'« Eloge des voleurs de feu ». Elle serait plutôt napoléonienne : Napoléon n'était pas plus économe de mots que de guerres, et son lyrisme, comme souvent chez les orageux, était sentimental.

Le second élément remarquable est que Dominique de Villepin a deux styles. Il semble que, depuis qu'il est Premier ministre, il soit passé à la discrétion. Je viens de lire son célèbre discours aux Nations unies contre la guerre en Irak, qui, écouté, m'avait tant fait regretter le style Norpois, le diplomate d'« A la recherche du temps perdu ». Dieu nous donne des Norpois, des périphrases et des euphémismes ! me disais-je. Les diplomates servent à tergiverser, tempérer, anesthésier les brutes par un style lénifiant. Le style martial flatte plus l'oreille, mais l'anti-guerre se renie lorsqu'elle parle le langage de la guerre. Eh bien, ce discours était modéré : « l'unité de la communauté internationale », « la nécessité de construire la paix », « la France prendra toute sa part », « prend appui sur toutes les fractures » (mot chiraquien employé trois fois), « ne pas transiger avec [pour "transiger sur", je pense] ce qui constitue le coeur de nos valeurs ». Le style parlé de Dominique de Villepin est moins oratoire que son style écrit. Ce qui se passe, sans doute, est qu'il est en train de concilier les deux en parlant moins haut. Je parierais qu'il va bientôt tempérer son style écrit et que, dans un prochain livre, il passera à l'écriture blanche. Comme une arme. Pour mieux se débarrasser de son concurrent ?

Ils votent pour Dominique...

Danièle Thomson, réalisatrice,

« Je ne suis pas étonnée par ce qui étonne ceux qui ne le connaissent pas. Comment pouvait-on douter qu'il ait la capacité de s'attaquer au gouvernement de la France ? Il n'est pas dans la peau du rôle, il est dans la peau du travail ! Ce qui m'étonne moi, c'est que, malgré l'âpreté de son emploi du temps, il reste à l'écoute de la vraie vie et qu'il trouve le temps de chercher avec moi un casting idéal ! »

Régis Bulot, président de Relais & Châteaux

« Il a tellement pensé à ce qu'il fallait faire pour la France qu'au moment de mettre ses idées en pratique il est serein. Ceci n'est pas calculé, ceci n'est pas feint. »

Denis Tillinac, écrivain

« Ses exaltations le déportaient vers la marginalité politique. Il s'est enfin mis sous contrôle. C'est le début de la métamorphose indispensable à qui veut devenir homme d'Etat. »

Ecomesures : le temps de la précipitation

 Ce soir, on improvise ! Notre fougueux Premier ministre aime que les choses aillent vite. Normal pour quelqu'un qui s'était donné cent jours pour changer de cap. Ce goût irrépressible de l'action l'a porté ces jours-ci à s'engager dans des voies pas toujours très bien balisées. Ainsi, constatant que, malgré la réforme de la Sécurité sociale entreprise l'an dernier par Philippe Douste-Blazy, pourtant tellement vantée, le « trou » restait béant, Matignon a jeté toutes sortes de solutions à l'improviste en pâture : prélever la taxe sur les salaires des banques... détourner les plans d'épargne logement... taxer les laboratoires... Oubliant la règle d'or qui veut que, quitte à prendre des mesures désagréables, autant en arrêter une seule. Cela évite de mécontenter pour rien tous ceux qui ne seront pas touchés.

Que dire, d'ailleurs, de l'autre solution improvisée : taxer l'intéressement (7,5 %), au moment où le ministre de l'Economie, Thierry Breton, et le Premier ministre lui-même encensent le grand projet gaullien de la participation ? Le Général doit se retourner dans sa tombe.

« Rendez l'argent ! » Dans un élan thatchérien cette fois, le Premier ministre s'est aussi laissé aller à des déclarations à l'emporte-pièce à propos de Hewlett-Packard pour protester contre la sévérité du plan social (1 240 emplois supprimés en France). Il a réclamé le remboursement de subventions, qui, réflexion faite, n'avaient pas été accordées. On voit d'ici l'effet à l'étranger. Le Wall Street Journal, bible de la world company, ne s'est pas privé d'un édito assassin : « Il y a en France une incompréhension fondamentale du capitalisme. » Pas moins ! Une entrevue discrète et musclée aurait pu aplanir tout autant les problèmes. Mais, en ces temps de « patriotisme économique », Villepin n'a pu s'empêcher de partir flamberge au vent. Chance : la direction de HP France se dit finalement prête à revoir son plan et il n'y aurait plus que 750 emplois en balance. Comme quoi l'improvisation (à quoi il faut ajouter la mobilisation des salariés comme du maire de Grenoble) n'a pas que des inconvénients.

Ce qui n'est pas le cas concernant la réforme de l'impôt sur le revenu, annoncée à la va-vite au début du mois de septembre pour contrer les annonces sur le sujet de Nicolas Sarkozy. Cette « frappe préventive » a politiquement fort bien réussi : les propositions du président de l'UMP ont été mises sous le boisseau. Mais les groupes de pression sont maintenant déchaînés - contre la taxe sur l'intéressement, par exemple. Le problème est double. D'abord, la réforme provoque un manque à gagner de 3,5 milliards d'euros d'impôt, ce qui va obliger le gouvernement à faire la chasse aux gaspis sans garantie de résultats.

Ensuite, si les niches fiscales sont plafonnées à 8 000 euros, reste à connaître la liste de celles qui n'entreront pas dans le cumul. Les investissements dans les DOM-TOM ? Les aides à domicile ? Les parts de Sofica ? Les fonds à risques ? Bref, beaucoup, sinon tout, reste à faire.

Alain Juppé entre le rival et l'usurpateur

 Alain Juppé était en France le week-end dernier pour des raisons familiales ; il a rencontré Jacques Chirac et aussitôt le bouche-à-oreille s'est remis à fonctionner. Que fera-t-il le jour où il reviendra ? Malgré les dénégations qui alimentent son blog-notes depuis qu'il est parti disserter au Québec sur la mondialisation, personne à l'UMP ne croit à l'exil de l'ancien Premier ministre. On jure que les jours lui paraissent déjà longs et que, l'hiver canadien venu, ils lui sembleront interminables. Certains envisagent déjà son retour triomphal à Bordeaux au printemps. Et, si fort peu spéculent sur son avenir présidentiel - 2007 viendra très vite -, beaucoup l'imaginent arbitre entre Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy.

Qui préférerait-il ? Nicolas Sarkozy, qui est sur sa route depuis toujours et qu'il n'est jamais parvenu à détester tant il a vu son ambition à nu ? Ne lui a-t-il pas dit l'an dernier, en y croyant presque, qu'il le soutiendrait s'il était le mieux placé pour défendre les couleurs de la droite en 2007 ? Les deux hommes n'ont jamais cessé de se parler plutôt franchement et Nicolas Sarkozy, qui le ménage toujours, n'a jamais perdu une occasion de décrire à Alain Juppé l'ingratitude de Jacques Chirac et des siens. Un poison ravageur pour Alain Juppé, qui croit avoir sacrifié son destin à une histoire qui n'est pas la sienne.

Qui préférerait-il ? Dominique de Villepin, qui fut d'abord son collaborateur et auquel, la brûlure de son procès à vif, il fit grief de l'avoir si vite négligé ? Dominique de Villepin, dont il déconseilla la nomination à Matignon et qui est devenu si vite l'héritier de Chirac. A sa place. Contraint à ce froid polaire de la politique qu'est l'éloignement, qui préfère-t-on, du rival ou de l'usurpateur C. P.?

Bernadette Chirac : Jacques avant tout

«Mais que pense Bernadette ? » Les amis du président sont intrigués mais n'ont pas la réponse. Ou plutôt si. Ils savent qu'il n'y en a qu'une. Le choix de Bernadette ? C'est exclusivement Jacques. Elle choisira donc celui qui protégera la fin de son mandat et au-delà. Il y a là-dedans peu d'affect, mais Bernadette Chirac sait faire les gestes qu'il faut quand il le faut, dans un dosage impeccable. Depuis 2002, même si elle n'a rien oublié des vilenies du passé, elle pense que le président n'a pas les moyens d'une guerre ouverte contre Sarkozy : « Les Français veulent que vous travailliez ensemble », répète-t-elle à l'heure des rabibochages. Avec le temps, la realpolitik a installé une forme de complicité dans ses apartés narquois avec Sarkozy comme ceux qu'observait, l'autre mardi, le Tout-Paris venu assister à la réouverture du Grand Palais. « Elle est gentille avec moi », murmure le ministre de l'Intérieur avec une gourmandise d'enfant. Avec Dominique de Villepin, les démonstrations publiques restent rares. Elle lui a donné naguère le surnom de « Néron » comme sceau de ses excès et de ses mauvaises manières. Et elle ne l'a jamais renié. Mais si, demain, contre toutes les lois du genre qu'elle médite depuis son mariage, Dominique de Villepin s'imposait comme le mieux armé pour défendre les couleurs de son camp, elle le suivrait sans doute. Pour Jacques C. P.

Sources : LE POINT

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans VILLEPIN MINISTRE

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G
Dans une France qui perd ses repères, au lieu du repli sur soi, du morcellement de la société, de la France sarkozyenne divisée en communautés, il faut que la France se rassemble et réaffirme l'unité et la cohésion nationale. Il faut retrouver la France derrière des hommes qui croient en leur pays et sont décidés. Il existe des alternatives au camp de la résignation (Sarkozy, Villepin)...<br /> <br /> Avec NDA - NICOLAS DUPONT-AIGNAN : un projet novateur pour le rassemblement de la France en 2007, une force nouvelle de proposition, un vraix choix d'avenir à la place du duel factice entre UMP / PS et du n'importe quoi des extrêmes.<br /> <br /> Croire en la France : NICOLAS DUPONT-AIGNAN PRESIDENT !<br /> www.nda2007.fr
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