VILLEPIN PILE ET FACE 2ème partie

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Villepin pile et face
par Daniel RONDEAU
 
 
2ème Partie

Le 15 septembre dernier, le premier ministre français rit avec Zapatero, serre la main de Bush, embrasse Kofi Annan et Lula, parle avec Poutine, Jintao, Blair et Berlusconi. Il vient de passer une nuit blanche à mettre au point ses déclarations dans une chambre de l'hôtel Mandarin Oriental à Colombus Circle, avec Bruno Le Maire et nos deux ambassadeurs, Jean David Levitte et Jean-Marc de la Sablière. Quand il arrive à la tribune, George W. Bush se redresse sur son siège et branche son écouteur.

L'aisance avec laquelle Villepin a endossé les habits présidentiels pour s'asseoir à la table des grands et souffler avec eux les soixante bougies de l'ONU ne doit rien au hasard. Il y a vingt-cinq ans que Villepin est entré dans la diplomatie et qu'il en fréquente chaque jour les hommes et les dossiers.

A l'aube des années 1980, pour ce jeune homme né au Maroc en 1953, sortant de l'ENA, assoiffé de mouvement et qui n'oublie pas que de Gaulle a toujours raisonné, dès juin 1940, à l'échelle de la planète, la diplomatie était plus qu'une vocation, une évidence. D'autant que le Quai d'Orsay sait s'y prendre avec les poètes comme lui, ceux dont les mots roulent de la lave ou des délicatesses de sylphe. Il suffit que leurs dépêches restent concises.

Sur la carte du monde, il ne voit que l'Afrique. L'Afrique reste le socle fantôme de la planète, une terre de surnature et de grande pauvreté, ravagée (et abandonnée) par l'Occident. En 1977, effectuant son service militaire dans la marine, il descend du Clémenceau, où il présente le journal télévisé du bord tous les soirs aux 2 000 membres de l'équipage. Il est caillassé avec ses camarades par des enfants qui protestent contre la présence française. A sa sortie de l'ENA, Villepin choisit le Quai, et retrouve la Corne de l'Afrique, avant de prendre la direction du service de presse de l'ambassade de France à Washington.

De l'autre côté de l'Atlantique, sa réputation grandit. Il reçoit tous les Français de passage ou en poste sur la Côte est. Des journalistes (Jean-Pierre Elkkabach, Jean Daniel), des intellectuels (Régis Debray, Edgar Morin, Alain Minc), des hommes d'affaires (Alain Gomez). Il noue une amitié imprévue et durable avec Katherine Graham, la propriétaire du Washington Post , rencontrée lors d'une exposition Gauguin. L'Amérique du Nord agit sur lui comme un accélérateur. L'impact du pays sera suffisamment durable pour que, quelques années plus tard, en 2002, évoquant son avenir en cas de défaite de Chirac à l'élection présidentielle, il envisage en privé la possibilité d'un exil de l'autre côté de l'Atlantique.

Après Washington, New Delhi. Dans l'air indien montent les fumées des bûchers où des hommes s'immolent. Villepin est "ébloui" par la douceur d'un homme, Rajiv Gandhi, revenu affronter le chaos, après une traversée du désert. "Il m'a aidé à comprendre la grande leçon de Napoléon et de Gaulle : il y a toujours deux chances." Puis c'est le retour à Paris en 1992, et à ses dossiers africains, au Quai.

C'est peu après que Chirac le convoque : "Dominique, lui dit-il, voyez Balladur. Il faut l'aider à préparer sa réflexion diplomatique." Il se met aussitôt au travail avec Nicolas Bazire et Edouard Balladur, qui lui propose, en arrivant à Matignon, de devenir son conseiller diplomatique. Trop tard. Alain Juppé vient de lui demander de prendre la direction de son cabinet au Quai d'Orsay.

Curieux tandem : Villepin l'imaginatif et Juppé le raisonnable. Ce chaud-froid crée une dynamique. Pour la première fois, Villepin trouve une tâche à la mesure de son énergie et de son goût pour l'effort : un directeur de cabinet est toujours prisonnier de son travail. Ni soirée ni week-end. Villepin gère l'ordinaire et les crises, envoie son ministre à Sarajevo sans avertissement, prépare une réforme du Quai, tout en mettant de l'ordre dans les circuits. Quelques vieux kroumirs se montrent alors oublieux des règles de la morale publique. Villepin purge notre diplomatie de ces réseaux parallèles où prospèrent les bacilles de la corruption. Il neutralise les connexions de ces diplomates et les pousse vers la sortie, avec discrétion, sans états d'âme.

A la veille de Noël 1994, l'affaire de l'Airbus piraté à Alger le mobilise vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Chirac, qui parle à Villepin au téléphone dix fois par jour, comprend que son interlocuteur est seul à Paris. "Qu'est-ce que vous faites ce soir ?", demande le maire de Paris. "Rien, je reste à mon bureau." "Venez dîner avec nous." "Et c'est ainsi, raconte Villepin, que je me suis retrouvé pour le réveillon de Noël chez Joe Allen, aux Halles, avec Chirac, Claude et Bernadette." Depuis le début de la prise d'otages, Villepin plaide pour que l'avion soit autorisé à décoller et à atterrir en France, où la police trouvera plus facilement le moyen d'intervenir. Le lendemain, Chirac persuade Pasqua de laisser décoller l'avion pour Marseille.

En 2002, après cinq années au palais de l'Elysée, le voici de retour comme ministre des affaires étrangères. Contre toute attente, car il s'était préparé à partir pour la Place Beauvau. Sur sa table de travail, qui fut celle de Vergennes, l'encrier de Talleyrand, ce "diable boiteux" qui a toujours voulu être l'homme de la France, et près de lui, face à ses visiteurs, un tableau de Zao Wou-ki. Personne, et lui non plus, ne peut encore imaginer les prochaines accélérations de l'Histoire, qui vont lui donner un rôle.

L'Amérique, traumatisée par le 11-Septembre, cherche à entraîner la communauté internationale dans une embuscade diplomatique à l'ONU contre l'Irak, pays désarmé dont elle prétend qu'il menace la paix mondiale. Le 14 février 2003, Villepin porte la parole française à l'ONU. Son discours est applaudi dans l'enceinte des Nations unies. En France, il provoque un frisson à droite comme à gauche. Le pouvoir est aussi une question d'incarnation. Villepin a incarné, ce jour-là, une certaine idée de la France. En Amérique du Sud, où les télévisions diffusent alors quotidiennement ses interviews en espagnol, dans les pays arabes et musulmans, en Afrique, il est devenu l'homme qui résiste à George W. Bush. Ce sont les événements qui fabriquent les hommes. Villepin est en phase avec l'idée qu'il s'est toujours faite de la vocation universelle de notre pays : il fonce.

Sources : LE MONDE

Posté par Adriana Evangelizt

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